« Skills-based organization » est-ce un #hashtag de plus pour les consultants en design organisationnel ou une réelle évolution structurelle pour les entreprises qui placent les compétences au centre de leur stratégie RH ? Au-delà de la question rhétorique, le lien entre la compétitivité et les compétences, qui s’exprime aussi par la capacité des organisations à s’adapter à leur environnement économique, est extrêmement fort aujourd’hui, tant le besoin d’agilité est important.
1. Une organisation fondée sur les compétences pour renforcer sa compétitivité
De nombreuses filières industrielles sont en tension et se heurtent à des enjeux de besoin de compétences importants – les raisons sont connues : transitions numériques puis environnementales, pénurie de main d’œuvre ou inadéquation de la main d’œuvre avec les besoins actuels et à venir, vieillissement de la population active, obsolescence de plus en plus rapide des compétences…
Or, ce besoin de compétences n’est pas seulement conjoncturel mais aussi structurel : les cycles raccourcissent, les crises de différentes natures se succèdent et l’incertitude permanente constitue la nouvelle norme. Dans ce contexte, la capacité à savoir adresser ces changements font partie des forces des organisations performantes. La maitrise de ses propres compétences, actuelles et futures, sont au cœur de la capacité d’adaptation et de la performance des organisations.
L’entreprise doit s’assurer qu'elle disposera des compétences nécessaires pour affronter l’évolution de son marché.
“La compétence est le ROI de la formation”
Les ressources humaines sont le « capital humain », car elles sont des ressources à disposition de l’entreprise au même titre que les autres immobilisations (financières et physiques pour simplifier). Cependant, ce capital humain ne figure pas au bilan comptable en tant qu’actif. Or, valoriser le capital humain, c’est valoriser le produit du savoir-faire– ce que l’entreprise fait mieux que les concurrents - par l’expérience – ce qu’elle sait faire plus vite car elle a justement accumulé les compétences au fil des ans, et sa façon distinctive de mobiliser ces compétences.
C’est tout le problème de la formation et en général des actions menées par les directions des ressources humaines : elles sont inscrites comme charges (dépenses) et non pas comme un investissement dont on attend un ROI (une charge est à optimiser, alors qu’un investissement est à rentabiliser).
D’un point de vue organisationnel, la compétence doit être le ROI attendu de la formation. Si on aurait du mal à estimer le ROI d’une action de montée en compétences, on peut plus facilement calculer le manque à gagner si on ne monte pas en compétences : baisse de productivité, marchés perdus... En réalité, ne pas monter en compétences équivaut non pas à stagner mais à régresser dans un environnement concurrentiel dynamique qui va de l’avant.
On comprend dès lors que tendre vers une organisation basée sur les compétences c’est se donner les moyens de placer les ressources humaines comme un actif stratégique au cœur de la croissance de l’entreprise.
2. Ce que cela veut dire pour la politique RH
On convient donc que les compétences sont un actif stratégique pour l’entreprise. Qu’est-ce que cela veut dire pour les directions RH ?
L’allocation classique des ressources humaine consiste à affecter une personne à un poste qui se compose d’un certain nombre de tâches définies par avance dans la fiche de poste. Dans un environnement dynamique et avec une gestion RH basé sur les compétences, l’allocation des ressources consiste à réunir les bonnes compétences, en interne comme en externe, pour constituer la bonne équipe projet pour réaliser une activité. Plus facile à dire qu’à faire car cela suppose une bonne dose d’agilité… et un processus d’identification en continu des compétences disponibles.
Le travail est considéré comme une suite d’activités qui sont autant d’opportunités ou de situations apprenantes permettant de démontrer, d’acquérir ou de maintenir des compétences. Les « méta-compétences » apprendre à apprendre ou savoir-transmettre permettent dans ce contexte l’adaptation plus rapide de l’organisation.
Il faut passer à une logique de “supply chain” des compétences.
Avoir une vision dynamique de l’organisation signifie aussi passer d’une logique de stock de ressources à une logique de flux, en se mettant en conditions d’être capable d’anticiper les flux de compétences : prendre en compte non seulement les départs des personnes qui entraînent une perte de compétences, mais aussi l’arrivée à péremption des compétences elles-mêmes, par non-utilisation de celle-ci ou par obsolescence engendrée par le marché.
3. Les conditions pour mettre en place une skills-based organization
La clé d’entrée d’une organisation basée sur les compétences n‘est plus le poste ou la fonction. Ce qui suppose :
Anticiper les besoins en compétences et non pas en postes à pourvoir. Ce qui autorise les mobilités temporaires, le séquençage du travail en mode projet, et le recours à des intérimaires ou à des freelances pour épauler les collaborateurs internes. L’approche “total workforce management” conçoit l’entreprise comme un écosystème ouvert et fluide qui assemble les compétences nécessaires selon les besoins des projets.
Favoriser la mobilité interne de façon très large et décloisonnée. Dans un premier temps, développer une talent market place interne efficace suppose l’identification fiable et permanente des compétences. Dans un second temps, autoriser les transferts de compétences en dehors des parcours attendus, c’est-à-dire pas seulement dans une logique d’upskilling mais aussi de pas de côté, en se basant sur les compétences transverses des candidats et sur leur connaissance des produits et des marchés de l’entreprise. Face à la difficulté d’identifier les compétences existantes, il peut sembler plus simple de procéder à un recrutement externe plutôt que de favoriser une candidature interne accompagnée d’une formation adéquate. Une organisation basée sur les compétences place les dynamiques de mobilité interne au cœur de sa politique RH.
Passer de façon agile et continuelle de la gestion collective à la gestion individuelle et de la gestion individuelle à la gestion collective, dans un exercice d’équilibriste quotidien des équipes RH et extrêmement difficile. Dans ce domaine aussi, l’IA va aider en s’invitant dans les outils incontournables que sont la cartographie et son corolaire le référentiel des compétences, dans une version dynamique et évolutive. L’évaluation des compétences et la cartographie qui en découle sont la plupart du temps réalisées a posteriori et dans le meilleur des cas servent à réaliser des projections. L'utilisation de l’IA facilite la mise à jour en temps réel et les analyses prédictives.
Pour soutenir cette organisation, la culture d’entreprise doit promouvoir cette évolution vers un management par les compétences, en s’attachant à :
S’inscrire dans le temps long : le temps de l’apprentissage, le temps du changement comportemental, le temps de l’intégration. Une skills-based organization est antinomique avec une vision court-termiste.
Non seulement identifier mais valoriser les compétences acquises ou en cours d’acquisition, pour encourager les apprentissages. La reconnaissance et la valorisation des compétences sont un levier puissant d’engagement des collaborateurs, et peuvent prendre différentes formes, de la matérialisation par des badges à des propositions de mobilité, l’essentiel étant de récompenser la montée en compétences.
Tendre vers un modèle d’organisation apprenante, c’est-à-dire qui offre un environnement de travail propice aux apprentissages de toute nature. Une organisation basée sur les compétences est forcément une learning organization, mais ça, ça fera l’objet d’un autre article, pour ne pas trop jargonner aujourd’hui !
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